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Santé et genre : toujours inégaux-ales face à la médecine

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Le Lab' de DécadréE

Par Nawal Kinany, publié le 1 décembre 2022
Voir l’article source sur DécadréE

En matière de santé, nous ne sommes pas tous-x-tes logé-x-es à la même enseigne. Parmi les facteurs d’inégalités : le genre. Stéréotypes et normes sociales s’invitent dans notre rapport à la santé, que ce soit dans l’expression des symptômes, dans la prise en charge des patient-x-es, ou encore dans la recherche clinique. Si les lignes commencent à bouger, beaucoup reste à faire en Suisse pour mieux comprendre ces enjeux, mieux les déconstruire, et offrir à tous-x-tes des soins justes et adaptés.

La distinction binaire hommes/femmes est employée dans cet article afin de dresser un portrait de la situation actuelle en matière de genre et de santé, dans laquelle la non-binarité reste encore largement absente. Il est toutefois important de souligner que les minorités de genre sont particulièrement visées par les discriminations et les inégalités.

Des stéréotypes dangereux

Commençons, si vous le voulez bien, par une petite question : selon-vous, qui des hommes ou des femmes est le plus susceptible de faire une crise cardiaque ? Si vous avez répondu « les hommes », vous avez raison… mais ils ne sont de loin pas les seuls. Si ces derniers sont davantage sujets à des maladies cardiovasculaires, les femmes sont elles aussi largement concernées. Fait préoccupant, elles sont également bien plus susceptibles d’en mourir. En effet, alors que leur nombre de cas est deux fois moins élevé que celui des hommes, elles totalisent la majorité des décès. En Suisse, les maladies cardiovasculaires représentent même la première cause de décès chez les femmes.

Différents facteurs biologiques et sociaux influencent ces disparités. Parmi ceux-ci, des conceptions stéréotypées peuvent entraîner un sous-diagnostic des femmes. Comme les maladies cardiovasculaires sont encore considérées comme typiquement masculines, les symptômes des femmes sont plus volontiers attribués à des causes psychosociales. Une patiente se plaignant de douleurs thoraciques a donc plus de chances de se voir prescrire des anxiolytiques, tandis qu’un patient masculin sera plus souvent orienté vers un examen cardiologique. Ces diagnostics erronés peuvent entraîner des examens ou des traitements inutiles et retarder la prise en charge.

Des biais de genre inverses existent également. C’est par exemple le cas pour la dépression. Les femmes sont en moyenne les plus touchées (ce qui peut notamment s’expliquer par le contexte socio-économique, qui les exposent à de nombreux facteurs de risque – conditions de travail, charge mentale, etc.). Les hommes ne sont pour autant pas épargnés et peuvent, eux aussi, souffrir d’une prise en charge inadéquate. Les codes sociaux de masculinité, valorisant force et virilité, n’y sont certainement pas innocents. D’abord, les hommes consultent en moyenne moins souvent. Ensuite, ils ne manifestent pas forcément les symptômes considérés comme classiques dans l’état dépressif, tels que la tristesse, la fatigue ou encore la perte d’appétit. Ceux-ci ne correspondent guère au modèle de masculinité traditionnel et peuvent être perçus comme des signes de faiblesse qu’il convient plutôt de réprimer. En revanche, on observe chez les hommes davantage d’irritabilité et de comportements à risque.

Tous les individus ne sont pas égaux face à la santé. Si le sexe biologique peut contribuer à ces disparités, l’importance du genre social apparaît elle aussi évidente. Nous vivons dans un monde genré, qui définit les catégories d’hommes et de femmes selon des rôles et des comportements socioculturels différenciés. La sphère médicale, malheureusement, n’est pas exempte de préjugés. Ces conceptions stéréotypées pèsent sur nos comportements en matière de santé, que ce soit en influençant l’expression des symptômes chez les patient-e-x-s, ou en biaisant les diagnostics.

Le genre comme déterminant social de la santé

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les déterminants sociaux de la santé se définissent comme « les facteurs structurels et les conditions de vie quotidiennes qui sont à l’origine d’une grande partie des inégalités en santé entre pays et dans les pays ». Parmi ces déterminants, on retrouve notamment le statut social, l’éducation, ou les conditions de travail. Cela veut dire, par exemple, que les personnes situées au bas de l’échelle sociale peuvent être plus exposées à certains problèmes de santé, ou encore qu’un faible revenu peut limiter l’accès aux soins. A l’instar de ces facteurs, le genre structure et influence nos vies et, par conséquent, notre santé. A ce titre, il doit être considéré comme un déterminant social de la santé, qu’il convient d’intégrer dans les réflexions afin de mieux appréhender la complexité des inégalités dans le domaine médical.

Le genre n’opère pas à part : les déterminants sociaux peuvent aussi être inter-reliés. Les disparités socio-économiques entre hommes et femmes en sont un exemple éloquent (rappelons qu’en Suisse, les femmes gagnent encore en moyenne 19% de moins que les hommes). Cette répartition inégale des ressources peut en effet conduire à des inégalités en matière de santé, que ce soit en impactant la condition physique ou l’accès aux soins. Cette intersectionnalité doit être considérée pour aborder la question du genre en santé de manière globale.

Si l’influence du genre reste encore peu étudiée en Suisse, ces considérations commencent à s’inviter dans le débat public et politique. En 2017, l’Enquête Suisse sur la Santé, réalisée tous les 5 ans par l’Office Fédérale de la Statistique intègre pour la première fois la notion de genre, et pas uniquement de sexe.

La santé a-t-elle un genre ? Tel était le thème de la 5ème édition du Forum Santé, organisé le 3 novembre dernier par Le Temps et Heidi.news. Durant plus de 3 heures, des intervenant-x-es divers-x-es se sont succédé-x-es afin de discuter des inégalités liées au genre, de comment les comprendre et de comment les déconstruire. Une bonne illustration de la manière dont ces questions s’invitent dans le débat public. Cette vidéo fait partie de la série d’articles et de vidéos issue de l’événement (le reste est consultable ici).

Construire une médecine plus juste

Prendre en compte le genre est important afin de mettre en place un système de santé plus équitable et adapté à tous-x-tes. Ces changements doivent intervenir à différents niveaux. Au stade de la recherche biomédicale, déjà, les femmes sont généralement sous-représentées. Traditionnellement, les essais cliniques visant à tester de nouveaux traitements avant leur mise sur le marché ont été menés en grande partie sur des populations masculines (souvent jeunes et blanches), excluant ainsi de nombreux groupes de personnes. L’extrapolation de ces résultats ciblés au reste de la population peut s’avérer risquée. Comment alors s’assurer de l’efficacité et de l’absence d’effets secondaires ? Bien sûr, les différences ne sont pas systématiques. Mais seule une étude comparative poussée peut le garantir.

En Suisse, deux motions sur ces sujets ont été récemment discutées par le Parlement. La première vise à améliorer les recherches consacrées aux maladies touchant particulièrement les femmes, comme l’endométriose. Elle a été acceptée dans son intégralité par le Conseil National en septembre dernier. La deuxième propose quant à elle d’encourager les recherches en médecine qui intègrent une approche « genre ». Cette dernière n’a été que partiellement acceptée, le Conseil National ayant rejeté le point de la motion demandant à ce que le Fonds National Suisse (la principale institution soutenant les projets de recherche en Suisse) prenne en considération le genre comme condition d’octroi de contributions financières. Notons, toutefois, que des mesures similaires existent dans d’autres pays. Aux Etats-Unis, par exemple, les recherches cliniques financées par le gouvernement fédéral doivent inclure des femmes (depuis 1993 !).

L’amélioration des soins aux patient-x-es passe également par une sensibilisation du corps médical, par exemple par le biais de formations adaptées. En Suisse, l’Université de Lausanne est pionnière en la matière. Depuis 2011, la Faculté de Biologie et de Médecine soutient le projet « Médecine et Genre », qui propose d’intégrer le genre dans l’enseignement des soignant-x-es. Les futur-x-es médecins sont amené-x-es à se questionner sur les dimensions liées au genre et au sexe dans leur pratique médicale, dans le but d’améliorer les diagnostics et la prise en charge. Ces formations sont aussi l’occasion d’aborder les questions de santé au-delà de la binarité hommes-femmes, notamment concernant les personnes intersexes.

En conclusion, notre rapport à la santé est marqué par une multitude de facteurs sociaux, dont les interactions complexes peuvent constituer un terrain propice aux inégalités. Une meilleure compréhension de ces éléments est essentielle pour parvenir, à terme, à une pratique de la santé inclusive et éclairée. Il apparaît nécessaire de prendre en compte le genre dans sa réflexion, lorsque cela est pertinent. En ce sens, il est important de ne pas tomber dans les écueils des conceptions stéréotypées réduisant hommes et femmes à deux groupes homogènes et fondamentalement distincts, mais de veiller à mettre en évidence les différences comme les similitudes. Enfin, ces réflexions doivent s’ouvrir au-delà de la dichotomie hommes-femmes, ce afin d’inclure les minorités de genre, actuellement largement ignorées. La société, dans sa globalité, ne pourra que bénéficier de ces avancées.


Pour aller plus loin

Infographies : Nawal Kinany

Par Nawal Kinany, publié le 1 décembre 2022
Voir l’article source sur DécadréE

En matière de santé, nous ne sommes pas tous-x-tes logé-x-es à la même enseigne. Parmi les facteurs d’inégalités : le genre. Stéréotypes et normes sociales s’invitent dans notre rapport à la santé, que ce soit dans l’expression des symptômes, dans la prise en charge des patient-x-es, ou encore dans la recherche clinique. Si les lignes commencent à bouger, beaucoup reste à faire en Suisse pour mieux comprendre ces enjeux, mieux les déconstruire, et offrir à tous-x-tes des soins justes et adaptés.

La distinction binaire hommes/femmes est employée dans cet article afin de dresser un portrait de la situation actuelle en matière de genre et de santé, dans laquelle la non-binarité reste encore largement absente. Il est toutefois important de souligner que les minorités de genre sont particulièrement visées par les discriminations et les inégalités.

Des stéréotypes dangereux

Commençons, si vous le voulez bien, par une petite question : selon-vous, qui des hommes ou des femmes est le plus susceptible de faire une crise cardiaque ? Si vous avez répondu « les hommes », vous avez raison… mais ils ne sont de loin pas les seuls. Si ces derniers sont davantage sujets à des maladies cardiovasculaires, les femmes sont elles aussi largement concernées. Fait préoccupant, elles sont également bien plus susceptibles d’en mourir. En effet, alors que leur nombre de cas est deux fois moins élevé que celui des hommes, elles totalisent la majorité des décès. En Suisse, les maladies cardiovasculaires représentent même la première cause de décès chez les femmes.

Différents facteurs biologiques et sociaux influencent ces disparités. Parmi ceux-ci, des conceptions stéréotypées peuvent entraîner un sous-diagnostic des femmes. Comme les maladies cardiovasculaires sont encore considérées comme typiquement masculines, les symptômes des femmes sont plus volontiers attribués à des causes psychosociales. Une patiente se plaignant de douleurs thoraciques a donc plus de chances de se voir prescrire des anxiolytiques, tandis qu’un patient masculin sera plus souvent orienté vers un examen cardiologique. Ces diagnostics erronés peuvent entraîner des examens ou des traitements inutiles et retarder la prise en charge.

Des biais de genre inverses existent également. C’est par exemple le cas pour la dépression. Les femmes sont en moyenne les plus touchées (ce qui peut notamment s’expliquer par le contexte socio-économique, qui les exposent à de nombreux facteurs de risque – conditions de travail, charge mentale, etc.). Les hommes ne sont pour autant pas épargnés et peuvent, eux aussi, souffrir d’une prise en charge inadéquate. Les codes sociaux de masculinité, valorisant force et virilité, n’y sont certainement pas innocents. D’abord, les hommes consultent en moyenne moins souvent. Ensuite, ils ne manifestent pas forcément les symptômes considérés comme classiques dans l’état dépressif, tels que la tristesse, la fatigue ou encore la perte d’appétit. Ceux-ci ne correspondent guère au modèle de masculinité traditionnel et peuvent être perçus comme des signes de faiblesse qu’il convient plutôt de réprimer. En revanche, on observe chez les hommes davantage d’irritabilité et de comportements à risque.

Tous les individus ne sont pas égaux face à la santé. Si le sexe biologique peut contribuer à ces disparités, l’importance du genre social apparaît elle aussi évidente. Nous vivons dans un monde genré, qui définit les catégories d’hommes et de femmes selon des rôles et des comportements socioculturels différenciés. La sphère médicale, malheureusement, n’est pas exempte de préjugés. Ces conceptions stéréotypées pèsent sur nos comportements en matière de santé, que ce soit en influençant l’expression des symptômes chez les patient-e-x-s, ou en biaisant les diagnostics.

Le genre comme déterminant social de la santé

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les déterminants sociaux de la santé se définissent comme « les facteurs structurels et les conditions de vie quotidiennes qui sont à l’origine d’une grande partie des inégalités en santé entre pays et dans les pays ». Parmi ces déterminants, on retrouve notamment le statut social, l’éducation, ou les conditions de travail. Cela veut dire, par exemple, que les personnes situées au bas de l’échelle sociale peuvent être plus exposées à certains problèmes de santé, ou encore qu’un faible revenu peut limiter l’accès aux soins. A l’instar de ces facteurs, le genre structure et influence nos vies et, par conséquent, notre santé. A ce titre, il doit être considéré comme un déterminant social de la santé, qu’il convient d’intégrer dans les réflexions afin de mieux appréhender la complexité des inégalités dans le domaine médical.

Le genre n’opère pas à part : les déterminants sociaux peuvent aussi être inter-reliés. Les disparités socio-économiques entre hommes et femmes en sont un exemple éloquent (rappelons qu’en Suisse, les femmes gagnent encore en moyenne 19% de moins que les hommes). Cette répartition inégale des ressources peut en effet conduire à des inégalités en matière de santé, que ce soit en impactant la condition physique ou l’accès aux soins. Cette intersectionnalité doit être considérée pour aborder la question du genre en santé de manière globale.

Si l’influence du genre reste encore peu étudiée en Suisse, ces considérations commencent à s’inviter dans le débat public et politique. En 2017, l’Enquête Suisse sur la Santé, réalisée tous les 5 ans par l’Office Fédérale de la Statistique intègre pour la première fois la notion de genre, et pas uniquement de sexe.

La santé a-t-elle un genre ? Tel était le thème de la 5ème édition du Forum Santé, organisé le 3 novembre dernier par Le Temps et Heidi.news. Durant plus de 3 heures, des intervenant-x-es divers-x-es se sont succédé-x-es afin de discuter des inégalités liées au genre, de comment les comprendre et de comment les déconstruire. Une bonne illustration de la manière dont ces questions s’invitent dans le débat public. Cette vidéo fait partie de la série d’articles et de vidéos issue de l’événement (le reste est consultable ici).

Construire une médecine plus juste

Prendre en compte le genre est important afin de mettre en place un système de santé plus équitable et adapté à tous-x-tes. Ces changements doivent intervenir à différents niveaux. Au stade de la recherche biomédicale, déjà, les femmes sont généralement sous-représentées. Traditionnellement, les essais cliniques visant à tester de nouveaux traitements avant leur mise sur le marché ont été menés en grande partie sur des populations masculines (souvent jeunes et blanches), excluant ainsi de nombreux groupes de personnes. L’extrapolation de ces résultats ciblés au reste de la population peut s’avérer risquée. Comment alors s’assurer de l’efficacité et de l’absence d’effets secondaires ? Bien sûr, les différences ne sont pas systématiques. Mais seule une étude comparative poussée peut le garantir.

En Suisse, deux motions sur ces sujets ont été récemment discutées par le Parlement. La première vise à améliorer les recherches consacrées aux maladies touchant particulièrement les femmes, comme l’endométriose. Elle a été acceptée dans son intégralité par le Conseil National en septembre dernier. La deuxième propose quant à elle d’encourager les recherches en médecine qui intègrent une approche « genre ». Cette dernière n’a été que partiellement acceptée, le Conseil National ayant rejeté le point de la motion demandant à ce que le Fonds National Suisse (la principale institution soutenant les projets de recherche en Suisse) prenne en considération le genre comme condition d’octroi de contributions financières. Notons, toutefois, que des mesures similaires existent dans d’autres pays. Aux Etats-Unis, par exemple, les recherches cliniques financées par le gouvernement fédéral doivent inclure des femmes (depuis 1993 !).

L’amélioration des soins aux patient-x-es passe également par une sensibilisation du corps médical, par exemple par le biais de formations adaptées. En Suisse, l’Université de Lausanne est pionnière en la matière. Depuis 2011, la Faculté de Biologie et de Médecine soutient le projet « Médecine et Genre », qui propose d’intégrer le genre dans l’enseignement des soignant-x-es. Les futur-x-es médecins sont amené-x-es à se questionner sur les dimensions liées au genre et au sexe dans leur pratique médicale, dans le but d’améliorer les diagnostics et la prise en charge. Ces formations sont aussi l’occasion d’aborder les questions de santé au-delà de la binarité hommes-femmes, notamment concernant les personnes intersexes.

En conclusion, notre rapport à la santé est marqué par une multitude de facteurs sociaux, dont les interactions complexes peuvent constituer un terrain propice aux inégalités. Une meilleure compréhension de ces éléments est essentielle pour parvenir, à terme, à une pratique de la santé inclusive et éclairée. Il apparaît nécessaire de prendre en compte le genre dans sa réflexion, lorsque cela est pertinent. En ce sens, il est important de ne pas tomber dans les écueils des conceptions stéréotypées réduisant hommes et femmes à deux groupes homogènes et fondamentalement distincts, mais de veiller à mettre en évidence les différences comme les similitudes. Enfin, ces réflexions doivent s’ouvrir au-delà de la dichotomie hommes-femmes, ce afin d’inclure les minorités de genre, actuellement largement ignorées. La société, dans sa globalité, ne pourra que bénéficier de ces avancées.


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Infographies : Nawal Kinany

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